Retour aux articles

Saisie-attribution des créances : rappel de la qualité de tiers saisi et de l’objet de la saisie

Afrique - Ohada
06/02/2020
Le tiers saisi désigne non pas une personne sur qui pèse une simple présomption de détention des sommes d’argent, mais plutôt la personne qui détient effectivement des sommes d’argent dues au débiteur saisi. La saisie-attribution ne peut porter que sur des créances de sommes d’argent.  L’analyse de Bréhima Kaména, maître de conférences agrégé à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (Mali).
Dans cette affaire, la requérante reprochait à l’arrêt infirmatif n° 003/2016 du 20 janvier 2016 de la cour d’appel de Lomé d’avoir violé les dispositions des articles 38, 153 et 156 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution du 10 avril 1998 (AUPSRVE).

Pour dénier la qualité de tiers saisi à une personne, ladite cour avait retenu qu’ « est tiers saisi, celui qui détient entre ses mains des sommes d’argent du débiteur, objet de la mesure d’exécution forcée » et que seules les sommes d’argent liquides peuvent faire l’objet d’une saisie-attribution. Or, selon requérante, l’interdiction de faire obstacle à la saisie ne soulève aucune conditionnalité préalable de recherche de la qualité de tiers ou de la nature de la créance saisie. En outre, selon elle, la qualité de tiers saisi n’est autre que toute personne sur qui pèse une simple présomption de détention de sommes d’argent. Enfin, la requérante soutenait qu’une quote-part indivise de biens meubles, corporels ou incorporels, ou immeubles, dont la valeur est fixée par un procès-verbal d’accord transactionnel, peut, en l’état, faire l’objet d’une saisie-attribution.

L’arrêt n° 193/2019 du 27 juin 2019 soulève deux problématiques juridiques complémentaires relatives à la saisie-attribution des créances : qui a la qualité de tiers saisi ? Quel est l’objet de la saisie-attribution ?

La CCJA rejette le pourvoi en deux temps. Tout d’abord, au visa des articles 38 et 156 de l’AUPSRVE, elle décide que « le terme tiers saisi (…) désigne non pas une personne sur qui pèse une simple présomption de détention des sommes d’argent mais plutôt la personne qui détient effectivement des sommes d’argent dues au débiteur saisi ». Ensuite, au visa de l’article 153 du même acte uniforme, elle précise que « la saisie-attribution ne peut porter que sur des créances de sommes d’argent ».
Rappelons que la saisie-attribution des créances est une procédure d’exécution permettant à un créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible d’en obtenir le paiement par la saisie entre les mains d’un tiers des créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, à l’exception des rémunérations.

L’article 38 susvisé de l’AUPSRVE interdit au tiers saisi de « faire obstacle aux procédures en vue de l’exécution ou de la conservation des créances ». Il prévoit qu’il doit y apporter son concours lorsqu’il en est légalement requis. Il édicte, en cas de manquement par lui à ces obligations, deux sanctions possibles : la condamnation à verser des dommages-intérêts et le paiement des causes de la saisie. Le tiers saisi encourt, selon l’article 156 susvisé, les mêmes sanctions en cas déclaration inexacte, incomplète ou tardive relative à « l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur ainsi que les modalités qui pourraient les affecter et, s’il y a lieu, les cessions de créances, délégations ou saisies antérieures ».

À propos des obligations du tiers saisi à l’égard du débiteur saisi, prévues par l’article 156 précité, elles ne peuvent porter que sur des sommes d’argent, comme le précise l’article 153 susvisé.  Celui-ci dispose, en effet, que « Tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d’argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations ».

Dès lors, contrairement à ce que soutenait la requérante, le tiers saisi n’est pas toute personne sur qui pèse une simple présomption de détention de sommes d’argent, mais comme l’a précisé la CCJA, la personne qui détient effectivement des sommes d’argent dues au débiteur saisi. 

Or, il ressort de l’analyse des pièces du dossier que la défenderesse ne détenait pas, pour le compte de la débitrice saisie, des créances portant sur des sommes d’argent, mais plutôt, en vertu d’un procès-verbal d’accord transactionnel, une quote-part indivise d’héritage revenant à cette dernière sur un fonds hôtelier composé de l’immeuble, des meubles et du fonds de commerce.

Ainsi, l’arrêt commenté emporte l’adhésion. Par ailleurs, il confirme la jurisprudence antérieure (CCJA, 27 janv. 2005, n° 09/2005, https://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=2707 ; http://www.ohada.com/jurisprudence/ohadata/J-05-191.html ; CCJA, 08 déc. 2011, n° 040/2011, https://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=2364 ; CCJA, 13 mars 2014, n° 025/2014, https://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=3409 ; CCJA, 27 juil. 2017, n° 172/2017, obs. A. S. A, https://www.actualitesdudroit.fr/browse/afrique/ohada/10700/tiers-saisi-dans-la-saisie-attribution-de-creances-en-droit-ohada ; https://biblio.ohada.org/pmb/opac_css/doc_num.php?explnum_id=2885).

Cependant, dans la pratique, les créanciers saisissants disposant généralement de très peu d’informations sur les créances de leurs débiteurs, augmentent la probabilité de réussite de leurs opérations de saisie en les orientant vers toute personne susceptible d’être redevable à l’égard de ces derniers, à quelque titre que ce soit. C'est pourquoi un auteur regrette qu’on puisse « raisonnablement exonérer le tiers saisi qui délibérément s’est abstenu de faire toute déclaration au créancier saisissant et qui plus tard se défend en excipant qu’il ne détenait pas les fonds du débiteur saisi ». Selon lui, « c’est dépourvoir de tout son intérêt l’obligation pour le tiers saisi d’apporter son concours en toute bonne foi à toute mesure d’exécution dès lors qu’il en est légalement requis ». Aussi, recommande-t-il la condamnation du tiers saisi qui n’est pas tenu d’obligation vis-à-vis du débiteur saisi, mais qui s’abstient de faire toute déclaration au créancier saisissant (Wambo J., Réflexions sur l’article 156 de l’AUPSRVE et ses applications jurisprudentielles, https://jeremiewambo.net/2017/03/30/reflexions-sur-larticle-156-de-laupsrve-et-ses-applications-jurisprudentielles/). Or, en l’état actuel des textes, une telle recommandation ne peut prospérer.
 
Source : Actualités du droit