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Droit souple : le REP étendu aux « documents de portée générale »

Public - Droit public général
19/06/2020
Dans un arrêt de section rendu le 12 juin, le Conseil d’État a étendu son contrôle aux « documents de portée générale » émis par l’Administration et précisé les modalités de contrôle de ces actes par le juge. Il élargit ainsi la catégorie d’actes de droit souple ou soft law susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.
Le Conseil d’État était saisi par le Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) d’une demande d’annulation de la note d’actualité n° 17/2017 de la division de l’expertise en fraude documentaire de la police aux frontières du 1er décembre 2017 relative aux « fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur des actes d’état civil ». Cette note visait à diffuser une information relative à l’existence d’une fraude sur les actes d’état civil et préconisait aux agents devant se prononcer sur la validité des actes de formuler un avis défavorable pour tout acte de naissance guinéen.
 
Dans son arrêt rendu en section le 12 juin 2020 (CE, sect., 12 juin 2020, n° 418142), la Haute cour a considéré que cette note pouvait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (REP), étendant ainsi son contrôle des actes de soft law, encore appelé droit souple ou droit mou.
 
Contrôle des actes de portée générale
 
Le Conseil d’État a déclaré dans un considérant de principe que « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non (…) peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir ».
 
Il pose une condition, à savoir que les documents soient « susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés (…) de les mettre en œuvre ».
 
Ces effets notables peuvent concerner deux types d’actes :
— les documents ayant un caractère impératif ;
— ceux présentant le caractère de lignes directrices.
 
Le Conseil liste des exemples de documents de portée générale pouvant être contrôlés, à savoir :
— les circulaires ;
— les instructions ;
— les recommandations ;
— les notes ;
— les présentations.
 
Modalités du contrôle par le juge administratif
 
La Haute cour donne aux juges un mode d’emploi du contrôle des actes de portée générale. Dans un premier temps, le Conseil d’État invite le juge à examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité à l’aune de deux éléments :
— la nature et les caractéristiques du document d’une part ;
— le pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont émane le document d’autre part.
 
Il énonce ensuite les trois vices devant conduire le juge à prononcer l’annulation de l’acte :  
— lorsque l’acte fixe une nouvelle règle entachée d’incompétence ;
— lorsque l’acte donne une interprétation erronée du droit positif et en méconnaît le sens ou la portée ;
— lorsque l’acte a été pris en vue de la mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure.
 
En l’espèce, le Conseil d’État a toutefois considéré que la note, qui préconisait l’émission d’un avis défavorable, n’interdisait pas l’émission d’un avis favorable, et n’interdisait pas « aux autorités compétentes de procéder (…) à l’examen des demandes (…) et d’y faire droit », et n’a donc pas prononcé son annulation.
 
 
 
L’ouverture des recours pour excès de pouvoir aux actes de droit souple, amorcée depuis un certain temps par le juge administratif, a été élargie à un nombre croissant d’actes et documents au cours des dernières années.
 
En effet, dans un arrêt Crédit Foncier de France (CE, sect. 11 déc. 1970, n° 78880), le Conseil d’État avait d’abord admis les REP à l’encontre des lignes directrices.
 
Dans un arrêt Duvignères de 2002 (CE, sect., 18 déc. 2002, n° 233618), il avait admis les REP contre des circulaires ou instructions de l’Administration.
 
Plus récemment, c’est dans des arrêts Fairvesta et Numéricable de 2016 (CE, ass., 21 mars 2016, nos 368082, Sté Fairvesta International GMBH et a. ; CE, ass., 21 mars 2016, n° 390023, Sté NC Numericable) que la Haute cour a considéré que les actes des autorités de régulation pouvaient, sous certaines conditions, faire l’objet d’un recours (voir Le Conseil d’État accepte de juger des actes de "soft law", Actualités du droit, 27 avr. 2016).

Le Conseil a ensuite confirmé sa position en jugeant dans un arrêt rendu en octobre 2019 (CE, 16 oct. 2019, n° 433069) que la présentation par la Cnil, via deux communiqués de presse, d’un plan d'actions dans le domaine du ciblage publicitaire, était susceptible d’un recours pour excès de pouvoir (voir Recours contre les actes de soft law des autorités de régulation : nouvelle illustration par le Conseil d’État, Actualités du droit, 23 oct. 2019).

Dans un arrêt encore plus récent (CE, 31 déc. 2019, n° 431164), la Haute cour a eu à juger de la légalité d’une délibération du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur la diffusion d'un programme télévisé (voir Diffusion de la Ligue des champions sur BFM TV : le CSA appuyé par le Conseil d'État, Actualités du droit, 15 janv. 2020).
 
Pour aller plus loin
 
– Pour des développements complets sur l'ouverture du recours en annulation contre les actes de droit souple, se référer au Lamy Droit public des affaires 2019, nos 127 et suivants.
– Sur la possibilité de former un recours contre les actes de droit souple des autorités de régulation, voir les nos 1236 et suivants.
Source : Actualités du droit