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Précisions sur l’article L. 711-6 du CESEDA et l’office du juge de l’asile

Public - Droit public général
07/07/2020
Dans un arrêt rendu le 19 juin 2020, le Conseil d’État juge que « l’article L. 711-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) doit être interprété conformément aux objectifs de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dont il assure la transposition ». Il ajoute que « la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d’y mettre fin en application » de cet article est « sans incidence sur le fait que l’intéressé a ou conserve la qualité de réfugié ».
En l’espèce, la Cour nationale du droit d’asile a reconnu par une décision datée de 2003 la qualité de réfugié d’une personne de nationalité turque. Par une décision de 2016, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), sur le fondement du 2° de l’article L. 711-6 du CESEDA, a mis fin à son statut de réfugié. Saisie par l’intéressé, la Cour nationale du droit d’asile a dénié, en 2017, sa qualité de réfugié en application du c) du F de l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et a annulé la décision de l’OFPRA datée de 2016. L’intéressé et l’OFPRA contestent l’annulation de cette décision.
 
Une interprétation de l’article L. 711-6 du CESEDA conforme aux objectifs de la directive 2011/95/UE

Conformément au 2° du paragraphe A de l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, la qualité de réfugié est notamment reconnue à « toute personnes qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (...) ». En outre, en vertu du c) du paragraphe F de l’article 1er de cette convention, repris au paragraphe 2 sous le c) de l’article 12 de la directive n° 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, « Les dispositions de cette convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (...) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».

L’article 14 de cette directive prévoit la révocation du statut de réfugié dans ces termes « 3. Les États membres révoquent le statut de réfugié de tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride, y mettent fin ou refusent de le renouveler, s’ils établissent, après lui avoir octroyé le statut de réfugié, que : / a) le réfugié est ou aurait dû être exclu du statut de réfugié en vertu de l’article 12 (...) 4. Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler, / a) lorsqu’il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve ; / b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. / 5. Dans les situations décrites au paragraphe 4, les États membres peuvent décider de ne pas octroyer le statut de réfugié, lorsqu’une telle décision n’a pas encore été prise. / 6. Les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s’appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la Convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu’elles se trouvent dans l’État membre ».

De plus, aux termes des articles L. 711-4 (dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 2015) et L. 711-6 (pris pour la transposition du 4 de l’article 14 de la directive du 13 décembre 2011) du CESEDA respectivement « L’office peut également mettre fin à tout moment, de sa propre initiative ou à la demande de l’autorité administrative, au statut de réfugié lorsque, (...) / 3° Le réfugié doit, compte tenu de circonstances intervenues après la reconnaissance de cette qualité, en être exclu en application des sections D, E ou F de l’article 1er de la Convention de Genève, du 28 juillet 1951, précitée » « Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque : / 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l’État ; / 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société ».

Le Conseil d’État déduit de ces dispositions que l’article L. 711-6 du CESEDA doit être interprété conformément aux objectifs de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dont ils assurent la transposition. En effet, ces objectifs visent à assurer, dans le respect de la Convention de Genève et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, l’application par tous les États membres de critères communs pour l’identification des personnes nécessitant une protection internationale et d’un niveau minimal d’avantages bénéficiant à ces personnes dans tous les États membres. Il déduit également des paragraphes 4 et 5 de l’article 14 de cette directive tels qu’interprétés par les arrêts C-391/16, C-77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l’Union européenne que « la révocation du statut de réfugié ne prive pas de la qualité de réfugié le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride concerné remplissant les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l’article 1er de la Convention de Genève ». En outre, conformément au paragraphe 6 de l’article 14 de cette même directive, l’État membre qui fait usage des facultés prévues à l’article 14 paragraphes 4 et 5, doit accorder au réfugié « le bénéfice des droits et protections consacrés par la Convention de Genève en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée ».
 
Absence d’incidence de la perte du statut de réfugié sur la qualité de réfugié et office du juge de l’asile

Pour la Haute juridiction, l’article L. 711-6 du CESEDA permet à l’OFPRA de refuser d’exercer la protection juridique et administrative d’un réfugié ou d’y mettre fin que dans les limites prévues par l’article 33, paragraphe 1, de la Convention de Genève et le paragraphe 6 de l’article 14 de la directive du 13 décembre 2011 :

– lorsqu’il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de l’intéressé constitue une menace grave pour la sûreté de l’État ou ;
– lorsque l’intéressé a été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement et ;
– que sa présence constitue une menace grave pour la société.

Elle en déduit que la perte du statut de réfugié en application de l’article L. 711-6 du CESEDA n’a pas d’incidence sur la qualité de réfugié que l’intéressé conserve dans l’hypothèse où l’OFPRA et le juge de l’asile font application de cet article dans les limites prévues par l’article 33, paragraphe 1, de la Convention de Genève et le paragraphe 6 de l’article 14 de la directive du 13 décembre 2011.

La Cour nationale du droit d’asile n’a ainsi pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’article L. 711-6 du CESEDA n’avait pas pour objet d’ajouter de nouvelles clauses d’exclusion et ne méconnaissait ni la Convention de Genève ni les objectifs de la directive du 13 décembre 2011.

Toutefois, l’OFPRA n’avait pas remis en cause devant elle la qualité de réfugié de l’intéressé. En effet, la Cour nationale du droit d’asile a vérifié d’office que ce dernier remplissait les conditions prévues aux articles 1er de la Convention de Genève et L. 711-1 du CESEDA. Or, elle était seulement saisie d’un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement de l’article L. 711-6 du CESEDA. Dans ses conditions, elle a méconnu son office et entaché sa décision d’erreur de droit. La décision contestée est annulée.
 
Source : Actualités du droit